Chroniques, Livres

La géante – Laurence Vilaine

Parfois, il n’y a que le silence à opposer à la beauté d’un texte et la puissance de son récit.
Alors, je me tais. Ce livre n’a pas besoin des mots d’une autre pour creuser son chemin jusqu’à votre cœur.
« Sans plus de lettres au pont Sémite, les précédentes ont tenu compagnie à mes longues soirées de décembre. Quand avec l’âge, il me coûte désormais en rentrant de la montagne de me mettre à ma table, au grenier, aux fourneaux, ma besogne m’est soudain devenue facile. Je faisais des onguents jusqu’à tard, j’effeuillais sans fatigue, je prenais tout mon temps, faisant du moment où je m’arrêtais pour lire une cérémonie en le retardant. Sur la marche du seuil souvent je me suis assise dans le froid. J’ôtais le givre ou la neige du serpolet pour le soulager un peu de l’hiver, et, dans mon vieux châle en laine, je récitais des morceaux de lettres à la nuit. Les mots justes se retiennent sans effort parce qu’eux-mêmes ont retenu l’essentiel, et sans faire de bruit, ils avaient la force d’une armada de poings contre la mort, la vie à gagner sinon rien, et je les recevais comme tels. Je les retenais comme la montagne retient le poids de la neige, chaque hiver elle s’en souvient, ils disaient aussi juste que le thym sent le thym, et l’immortelle des milliers de mois de juin. Dans son chagrin, cette femme puisait les mots qui ne cachaient rien, elle se mettait à nu comme elle allait prendre un bain et nageait dans des eaux profondes avec la peur de rien. A côté d’elle, je marchais morte, morte de marcher à côté de l’essentiel. Je ne savais pas ce que penser à quelqu’un voulait dire, le soir avant le sommeil qu’elle retardait pour ne pas être séparée de lui et dès le réveil. Je ne sais pas les mains qui brûlent et ce qu’aimer signifie, ni le sourire ni le désir grâce à des yeux de quelqu’un quelque part, fussent-ils à six-cents kilomètres. Ni la terreur d’un mot de trop qui ferait mal, ni l’insoutenable, la seule pensée que l’amour s’en aille à jamais – ce soir-là dans la nuit je me suis blottie. »
Pages 111-112.

Aux éditions Zulma

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