Foujita. Peintre inconnu de mon répertoire, je suis tombée par hasard sur une exposition au musée Maillol cet été. L’exposition est malheureusement déjà terminée à Paris, mais j’ai eu la chance de la voir in extremis avant qu’elle ne s’envole et ne prenne possession d’autres lieux. Toujours est-il, je tenais à rendre hommage à ce peintre Japonais auquel, malgré l’époque et la culture qui nous séparent, je ne peux m’empêcher de m’identifier. Un peu. Et si vous y prêtez attention, vous y trouverez peut-être un écho à votre propre histoire.
Ce peintre s’est exilé par amour de Paris et de la peinture. Il n’a pourtant cessé de rechercher ses racines tout au long de sa vie et de ses oeuvres, bien loin de la terre d’Orient qui l’a vu naître. Et si on le sent tituber, hésiter au fil des ans, si les styles se mélangent, son trait demeure pourtant extraordinairement précis. Ses toiles, au gré des mouvements qui animent sa recherche de soi, ne trompent pas un oeil averti. Ou plutôt, un oeil familier des mêmes mouvements. On le voit rechercher l’enfant, le père, la mère, trébucher sur des passions ; tous les sujets qui, au fond, animent l’humain depuis toujours. Il reste fidèle à ses muses qu’il peint dans leur éclat le plus éblouissant, il les aime démesurément, au point de les laisser partir, au point de les confier à d’autres, sans jalousie, sans désir de possession. Il perçoit l’éclair de tristesse, invisible à l’oeil du commun, et le rend éternel. Il vit un amour passionné avec son pays natal, et, comme pour tous les exilés, lui voue des sentiments ambivalents de rejet et d’attachement viscéraux. Et le Japon le lui rend bien. Pour autant, si parfois il semble le renier, il n’oublie pas de lui rendre hommage dans beaucoup de ses toiles; les estampes bien sûr, mais beaucoup plus subtilement dans certaines peintures où le trait du pays levant est reconnaissable entre mille.
Il côtoie Picasso, Matisse et Modigliani (pour un amateur, il est d’ailleurs perturbant que l’oeuvre de l’un puisse à ce point se confondre parfois avec celle de l’autre), devient un des peintres les plus en vue de Montparnasse des années folles, se noie dans le tourbillon débridé et excentrique des cabarets aux épaisses tentures de velours rouge, dort peu, retourne à son atelier, travaille excessivement, produit quantité de tableaux, atteint un point de non retour.
Il rencontre Renoir sur la Côte d’Azur peu avant la mort de celui-ci.
Il meurt vieux, et, semble-il, apaisé. Converti au catholicisme à la fin de sa vie, il passe ses derniers jours auprès de sa femme, reclus dans sa maison francilienne où il s’est créé un atelier, un refuge.
Et tandis que je noircis mon carnet encore vierge de ces quelques lignes, je me demande si, plus que les femmes à la peau de porcelaine qu’il a aimées toute sa vie, ce ne sont pas ses démons qui ont été ses véritables muses, et si, plus que les peintres et maîtres qu’il a tant admirés, ce n’est pas son exil qui a magnifié son trait, et enfin si, plus que les excès auto-destructeurs dans lesquels il s’est jeté dans les années vingt, ce n’est pas la recherche aveugle, effrénée et désespérée de l’étourdissement constant qui a donné autant d’intensité aux couleurs de ses tableaux. Mais je divague peut-être, et me représente des toiles dans les toiles, où mon histoire se cherche une place timide, où l’exilée en moi trouve un écho mégalomane à ses propres failles.
Mais n’est-ce pas cela, au fond, qui fait que l’art est art ? Lorsque l’oeuvre se fraye un chemin jusqu’à votre âme, y loge peut-être quelque chose, un petit bout d’éternel; lorsque vous y voyez une parcelle de votre histoire, un point, un trait, une courbe qui vous fait croire, par un tour de génie dont seuls les Grands ont le secret, qu’il y a un clin d’oeil pour vous dans ce tableau.