Chroniques, Livres, Théâtre

Edmond

Je m’insurge, je m’indigne.

Et si je m’autorise une rime malheureuse, je persiste et je signe : Edmond de Rostand ne peut en aucun cas être ce personnage simplet, faible, tremblotant, à qui l’idée de la génialissime pièce Cyrano lui serait venue comme ça, en ne faisant que retranscrire bêtement les amourettes de son compagnon de beuverie. Parce que si vous vous fiez à la pièce de Michalik et au film qui en découle, c’est ainsi qu’il est présenté.

L’idée a pourtant du mérite, celle de remettre un auteur injustement oublié sur le devant de la scène (si on vous dit Cyrano, vous penserez probablement à un célèbre nez, si on vous dit Rostand, vous serez en droit de vous demander si ce n’est pas le nom d’un village français). Mais quel gâchis. Il est dépeint sur scène et à l’écran comme un jeune homme fade, balbutiant, s’excusant presque d’exister, raillé par ses pairs, effacé, efforcé, aussi profond qu’une flaque d’eau en période de sécheresse, mari insipide, père peinant à imposer son autorité à des enfants qui le fuient.

Non, c’est absurde.

Chroniques, Livres, Théâtre

Plaidoiries – Livre et Pièce de Théâtre

Lorsque les prétoires rencontrent l’histoire, lorsque l’histoire se fait et se défait sur un réquisitoire ou une plaidoirie, par la seule force du verbe.

Je doute que ce livre fût un jour porté à mon attention sans la pièce qu’il a inspirée. Ce n’est qu’en sortant de celle-ci, avec encore dans la tête les mots des anciens portés par le jeu de Richard Berry, que j’ai été amenée à découvrir ce recueil, poignant témoignage de ce que la France a pu compter de procès dans la seconde moitié du XXème siècle. Des hommes et des femmes, certains inconnus, certains ont fléchi le destin de la France. Ils ont tous été appelés à la barre, et jugés. Ces histoires, vous en avez entendu parler, d’une oreille distraite à la radio de votre voiture ou devant votre café du matin. Vous vous êtes exclamés, peut-être avez-vous-même grimacé une moue dégoûtée à l’entente des chefs d’accusions, mais vous n’avez jamais réellement imaginé, rien su des batailles qui ont eu lieu à huis clos, dans la froideur des cours d’assise, à coups de verbe et d’apostrophe, pour rendre l’humanité à ceux qui ont commis (ou pas), l’irréparable. L’indéfendable.

Car il s’agit bien de cela, défendre l’indéfendable, l’insoutenable. Trouver l’audace de défier l’opinion publique déjà acquise à l’accusation. Se faire la voix de présumés coupables de l’atroce, tenter de les rendre humains aux yeux qui les jugent. Défendre aussi ce qui nous semble aujourd’hui acquis, comme le droit pour les femmes de disposer de leurs corps. Fléchir le destin d’un homme et parfois avec lui, celle d’une nation, par la seule force de mots.

C’est donc dans leurs histoires que vous plongerez, par le travail admirable de Matthieu Aaron, journaliste et auteur de ce recueil.

Il n’y a pas de morale, juste des avocats et des accusés, liés par l’indéfectible lien du verbe et de la loi. Et un grand mérite revient à ces porteurs de la loi, de quelque bord qu’ils se réclament, car ils portent entre leurs mains le fardeau lourd et faillible de la justice des hommes

J’ai frissonné il est vrai, j’ai été transportée dans ces cours d’assises de Bordeaux, de Marseille ou de Paris. Il m’a même semblé voir les robes et entendre les voix sourdes des avocats.

Et ces questions qui demeurent : peut-on condamner ou acquitter, peut-on juger de façon neutre en faisant fi des passions qui nous animent ? En faisant fi de qui nous sommes et de nos croyances ? La justice des hommes est-elle réellement aveugle quand il s’agit de décider du destin d’un semblable ?

Parfois, les mots des auteurs parlent d’eux-mêmes. Y rattacher les miens me semble au mieux inutile, au pire injurieux. Alors, et sans mauvais jeu de mots, je vous invite à découvrir et à juger par vous-mêmes, sur scène ou en lecture, ce témoignage vibrant de la justice humaine. 

Chroniques, Théâtre

Arlequin poli par l’amour – mise en scène Thomas Jolly

La Scala, Paris 10ème, jusqu’au 27 Octobre 2018 (20€ à 34€)

Du Marivaux mis en scène par Thomas Jolly, Je ne pouvais pas rater cette curiosité, cette promesse de poésie, ce cadeau de Noël avant l’heure. Et effectivement, tout vous prend à rebrousse poil, à commencer par la salle, ressemblant davantage à une salle de cinéma ou de concert qu’aux mythiques salles parisiennes aux fauteuils rouges (je vous conseille d’ailleurs de prendre des places plutôt à l’arrière; évitez en tous cas les premiers rangs, afin d’avoir une vue d’ensemble de la scène). 

Pièce du 18ème, on pourrait donc s’attendre à des corsets, de longues robes, des décors blancs et des oiseaux qui piaillent. En réalité, avec Jolly, on ne s’attend à rien, et pourtant on reçoit tout. On est transporté, non pas trois siècles en arrière, mais vers une planète loufoque, un peu étrange, où de jeunes gens flanqués de costumes de cirque, fardés de blanc, de rouge et de noir, entonnent avec la déférence qui lui est due une prose d’un autre temps. Et pendant 1h30, pendant une parenthèse enchantée où les coutumes du dehors ne sont plus, votre souffle est suspendu à celui de la troupe, qui réinvente le temps à coups de danse, de chants, de rires, et de silences.

Le rideau ne se lève pas, les spectateurs découvrent en s’installant, médusés et curieux, les acteurs déjà en position sur la scène, chacun sa lumière, chacun son livre. Le ton est donné. Cher spectateur, tu ne feras qu’un avec la troupe, tu seras immergé dans l’histoire, tu la feras tienne; tes amours seront celles d’Arlequin et de Silvia, ta haine sera celle de la Sorcière, ta tromperie celle de Merlin bafoué. Ton esprit s’élèvera avec celui d’Arlequin, tandis que le sentiment amoureux libèrera ses mots et aiguisera sa langue. Tu feras tienne sa transformation, ses sourcils qui froncent, sa voix qui s’impose, son habit qui s’assombrit. 

En faiseur de magie, Jolly dose les ombres, lève les voiles, celles de la scène et des hommes, le tout porté par des acteurs tous plus talentueux les uns que les autres.

Mention spéciale à Julie Bouriche, lumineuse dans le rôle de la fée maléfique en désespoir d’être aimée, machiavélique dans ses desseins; mais, et c’est là toute la beauté du texte, de la mise en scène et du jeu, émouvante dans son malheur, et qui arrive à nous soutirer des soupirs de compassion.

Comme un revers à mon enfance bercée par les voix mielleuses des princesses Disney (gageons que les années qui passent y sont pour quelque chose aussi…), il n’y a rien qui m’insupporte davantage dans un oeuvre que le manichéisme dégoulinant, insulte à l’intelligence du spectateur. Cette idée saugrenue qu’il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre, sans nuance, sans subtilité.  En tout homme, fût-il arlequin, bataillent des forces contraires, en toute femme, fût-elle sorcière, sommeillent eaux calmes et marées houleuses. Et c’est là toute notre humanité. Et c’est là toute la justesse de cette pièce, magnifiée, il est vrai, par un arlequin poli par l’amour, et un metteur en scène aux doigts de fée.

Chroniques, Théâtre

Intra Muros – Pièce de théâtre d’Alexis Michalik

Théâtre de la Pépinière, Paris 2ème, jusqu’au 28 février 2019 (12€ à 44€)

Je sors de la pièce avec un sentiment que quelque chose de crucial m’échappe. Quelque chose qui ferait passer ce moment de théâtre de « c’était sympa » à « c’était grandiose ». Alors je cours chercher sur internet quelques indices sur cette fin qui m’a, pour le coup, laissée sur ma faim (le jeu de mots n’est pas intentionnel et légèrement superflu, mais passons), mais je ne trouve rien qui apaise cette frustration qui me poursuit quelques heures, et même un peu en filigrane le lendemain.

C’est la troisième fois que j’assiste à une pièce d’Alexis Michalik (par grandeur d’âme, je vous épargne le jeu de mots malheureux avec le pâtissier homonyme – à une lettre près). « Le porteur d’histoires » m’avait effectivement portée, « Edmond » m’avait déçue ; l’admiration que je prête à De Rostand étant infinie et presque un peu trop subjective, je n’ai pas aimé voir ce génie de l’alexandrin dépeint en un personnage dénué de profondeur, peu sûr de lui et certainement pas à la hauteur de sa grande oeuvre : Cyrano. Intra Muros me laisse dubitative et légèrement agacée d’être passée si près de LA grande émotion. Alors il est vrai, assister à une pièce de Michalik, c’est avoir l’assurance de passer un très bon moment de théâtre, avec cette fluidité de mouvement et de rythme qui ne peut que vous enchanter. Les mêmes acteurs jouent différents personnages et vous ne pouvez qu’être bluffés par la facilité qu’ils ont à vous plonger d’un univers à un autre. 

Mais quand même. Tous les éléments sont là pour en faire une grande pièce de théâtre : un sujet intéressant (l’introduction m’a d’ailleurs fait miroiter une très belle introspection sur les émotions de l’acteur en tant qu’individu à part entière, le passage de l’acteur au personnage, ce passage si étroit, presque invisible parfois que l’un peut être confondu avec l’autre), des acteurs franchement doués, une mise en scène réussie, mais le résultat est tombé à plat. Quelque chose n’a pas pris, le message principal s’est perdu quelque part entre l’introduction et la conclusion (qui sont les meilleures parties du spectacle à mon sens). Alors il se peut que je me trompe, que je cherche à travers les lignes un message qui n’existe pas et qui n’a jamais existé, et qu’il ne s’agit en fait que d’une simple comédie amusante et qui ne vole pas haut. Si c’est le cas j’en fais amende honorable, mais il serait étonnant et même très décevant d’arriver à réunir autant d’intelligence artistique sans une trame analytique en toile de fond qui emporterait et bouleverserait les spectateurs. Ce moment si exceptionnel où vous restez scotché sur votre siège, pendant quelques secondes irrespirables avant que d’une seule voix la salle entière n’acclame la prouesse et le génie. Et c’est cela, je pense, qui me fait dire à la fin de la pièce « oh ben zut ! »