Chroniques, Livres

Titus n’aimait pas Bérénice – Nathalie Azoulai

Cela faisait longtemps qu’un livre ne m’avait demandé autant d’allers-retours vers un dictionnaire pour chercher la signification de tel ou tel mot (vous avez déjà utilisé « tautologie » au détour d’une phrase vous ?!). Et cela fait du bien, c’est vrai, même s’il m’a donné parfois l’impression d’avoir été écrit pour un public averti, déjà familier du Paris du 17ème, des notions de poésie et de la culture gréco-romaine.  

On a reproché à Racine sa grammaire et sa syntaxe moyennement rigoureuse selon les normes de l’époque. Je ne peux m’empêcher de me demander si l’auteure n’a pas cherché à imiter son illustre prédécesseur (sans grand succès toutefois, n’est pas Racine qui veut) : certaines tournures demandent à être relues (et relues encore !) pour bien les saisir. Le verbe n’est pas à sa place habituelle, le complément d’objet fait des acrobaties et on se retrouve à essayer de reconstituer la phrase originelle pour bien la comprendre. J’avoue avoir baissé les bras certaines fois. On s’attend à un roman entremêlé de références à l’oeuvre de Racine, on se retrouve assez vite avec une biographie du dramaturge entrecoupée de (trop peu) retours vers le roman. Le lien ? La douleur de la narratrice qui cherche refuge dans les oeuvres de Racine, qui se dissout dans celle de Bérénice, quittée, comme elle, deux millénaires plus tôt, en faveur du devoir, d’un amour plus grand encore. On est donc emmené abruptement d’un monde à l’autre, d’un siècle à l’autre, sans transition. On attend la suite de l’histoire de la narratrice, on finit par l’oublier, on se plonge dans celle de Racine, et puis sans prévenir, on se surprend à revenir quelques pages en arrière pour bien s’assurer que non, il n’y avait effectivement pas de téléphone portable en 1667. Pour le moins perturbant. La structure du récit fait cruellement défaut, on a l’impression d’avoir entre les mains un pavé brut, écrit d’une traite, peut-être sur une pulsion. 

Alors, me demanderez-vous après cette introduction peu glorieuse, pourquoi s’acharner ? Pour le récit de la vie de Racine. Et si je la soupçonne d’être fortement romancée, elle mérite toutefois le détour. Vous plongez dans cette France du 17ème siècle, si proche dans le temps et si lointaine de culture et de moeurs, où la galanterie revêt une notion autre que celle qu’on lui prête aujourd’hui, et où l’on pouvait recevoir une rente pour déclamer des vers à la gloire du roi. Orphelin très tôt, élevé par les hommes d’église, il est de cet époque où lire Virgile était un péché entre les murs de la paroisse; et plus d’une fois, lorsqu’il était découvert, les livres des auteurs grecs qu’il lisait en secret finissaient au bûcher. Il fait de Didon le socle, l’héroïne de sa propre vie, elle inspirera celles de ses oeuvres. Il se hisse rapidement par sa plume et sa malice vers les plus hautes sphères sociales. N’ayant pas le bénéfice du « bien né », il développe tout aussi rapidement le besoin viscéral d’écraser ses contemporains (Corneille et Molière en auraient fait les frais), au prix d’intrigues et de trahisons les plus viles.

Quelle est la part de réalité là-dedans ? Quelle est la part de fantasme ? A-t-il été réellement cet homme, mégalomane, pétri de jalousies, cruel parfois, ne supportant pas l’idée de ne pas être l’unique, le seul, le plus grand ? Ses oeuvres et ses actions ont elles été réellement la conséquence de son ballotement entre la piété des hommes de son enfance et la vie de cour ? Et à travers le prix Médicis qu’a reçu ce roman, que récompense-t-on au final ? Une biographie ? La grandeur de la France du 17ème ? Une élite qui a accès au savoir ? Un roman non terminé ? Car, si j’ai applaudi l’idée de départ, ce parallèle entre la narratrice et les oeuvres de Racine, je déplore une fois la lecture achevée qu’il n’ait pas été plus approfondi. Le lien, qui aurait concentré pour moi la grande prouesse de ce récit, est malheureusement trop infime, parfois compliqué à deviner, voire à trouver, et il peut être rompu rapidement, pour peu que le lecteur se lasse des froufrous du 17ème. 

Malgré tout, j’ai aimé car j’ai appris. Eus-je été en sus conquise par la pensée, j’aurais adoré. 

Chroniques, Théâtre

Arlequin poli par l’amour – mise en scène Thomas Jolly

La Scala, Paris 10ème, jusqu’au 27 Octobre 2018 (20€ à 34€)

Du Marivaux mis en scène par Thomas Jolly, Je ne pouvais pas rater cette curiosité, cette promesse de poésie, ce cadeau de Noël avant l’heure. Et effectivement, tout vous prend à rebrousse poil, à commencer par la salle, ressemblant davantage à une salle de cinéma ou de concert qu’aux mythiques salles parisiennes aux fauteuils rouges (je vous conseille d’ailleurs de prendre des places plutôt à l’arrière; évitez en tous cas les premiers rangs, afin d’avoir une vue d’ensemble de la scène). 

Pièce du 18ème, on pourrait donc s’attendre à des corsets, de longues robes, des décors blancs et des oiseaux qui piaillent. En réalité, avec Jolly, on ne s’attend à rien, et pourtant on reçoit tout. On est transporté, non pas trois siècles en arrière, mais vers une planète loufoque, un peu étrange, où de jeunes gens flanqués de costumes de cirque, fardés de blanc, de rouge et de noir, entonnent avec la déférence qui lui est due une prose d’un autre temps. Et pendant 1h30, pendant une parenthèse enchantée où les coutumes du dehors ne sont plus, votre souffle est suspendu à celui de la troupe, qui réinvente le temps à coups de danse, de chants, de rires, et de silences.

Le rideau ne se lève pas, les spectateurs découvrent en s’installant, médusés et curieux, les acteurs déjà en position sur la scène, chacun sa lumière, chacun son livre. Le ton est donné. Cher spectateur, tu ne feras qu’un avec la troupe, tu seras immergé dans l’histoire, tu la feras tienne; tes amours seront celles d’Arlequin et de Silvia, ta haine sera celle de la Sorcière, ta tromperie celle de Merlin bafoué. Ton esprit s’élèvera avec celui d’Arlequin, tandis que le sentiment amoureux libèrera ses mots et aiguisera sa langue. Tu feras tienne sa transformation, ses sourcils qui froncent, sa voix qui s’impose, son habit qui s’assombrit. 

En faiseur de magie, Jolly dose les ombres, lève les voiles, celles de la scène et des hommes, le tout porté par des acteurs tous plus talentueux les uns que les autres.

Mention spéciale à Julie Bouriche, lumineuse dans le rôle de la fée maléfique en désespoir d’être aimée, machiavélique dans ses desseins; mais, et c’est là toute la beauté du texte, de la mise en scène et du jeu, émouvante dans son malheur, et qui arrive à nous soutirer des soupirs de compassion.

Comme un revers à mon enfance bercée par les voix mielleuses des princesses Disney (gageons que les années qui passent y sont pour quelque chose aussi…), il n’y a rien qui m’insupporte davantage dans un oeuvre que le manichéisme dégoulinant, insulte à l’intelligence du spectateur. Cette idée saugrenue qu’il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre, sans nuance, sans subtilité.  En tout homme, fût-il arlequin, bataillent des forces contraires, en toute femme, fût-elle sorcière, sommeillent eaux calmes et marées houleuses. Et c’est là toute notre humanité. Et c’est là toute la justesse de cette pièce, magnifiée, il est vrai, par un arlequin poli par l’amour, et un metteur en scène aux doigts de fée.

Chroniques, Expos

Exposition – Foujita, un peintre d’Orient en Occident

Foujita. Peintre inconnu de mon répertoire, je suis tombée par hasard sur une exposition au musée Maillol cet été. L’exposition est malheureusement déjà terminée à Paris, mais j’ai eu la chance de la voir in extremis avant qu’elle ne s’envole et ne prenne possession d’autres lieux. Toujours est-il, je tenais à rendre hommage à ce peintre Japonais auquel, malgré l’époque et la culture qui nous séparent, je ne peux m’empêcher de m’identifier. Un peu. Et si vous y prêtez attention, vous y trouverez peut-être un écho à votre propre histoire.   

Ce peintre s’est exilé par amour de Paris et de la peinture. Il n’a pourtant cessé de rechercher ses racines tout au long de sa vie et de ses oeuvres, bien loin de la terre d’Orient qui l’a vu naître. Et si on le sent tituber, hésiter au fil des ans, si les styles se mélangent, son trait demeure pourtant extraordinairement précis. Ses toiles, au gré des mouvements qui animent sa recherche de soi, ne trompent pas un oeil averti. Ou plutôt, un oeil familier des mêmes mouvements. On le voit rechercher l’enfant, le père, la mère, trébucher sur des passions ; tous les sujets qui, au fond, animent l’humain depuis toujours. Il reste fidèle à ses muses qu’il peint dans leur éclat le plus éblouissant, il les aime démesurément, au point de les laisser partir, au point de les confier à d’autres, sans jalousie, sans désir de possession. Il perçoit l’éclair de tristesse, invisible à l’oeil du commun, et le rend éternel. Il vit un amour passionné avec son pays natal, et, comme pour tous les exilés, lui voue des sentiments ambivalents de rejet et d’attachement viscéraux. Et le Japon le lui rend bien. Pour autant, si parfois il semble le renier, il n’oublie pas de lui rendre hommage dans beaucoup de ses toiles; les estampes bien sûr, mais beaucoup plus subtilement dans certaines peintures où le trait du pays levant est reconnaissable entre mille. 

Il côtoie Picasso, Matisse et Modigliani (pour un amateur, il est d’ailleurs perturbant que l’oeuvre de l’un puisse à ce point se confondre parfois avec celle de l’autre), devient un des peintres les plus en vue de Montparnasse des années folles, se noie dans le tourbillon débridé et excentrique des cabarets aux épaisses tentures de velours rouge, dort peu, retourne à son atelier, travaille excessivement, produit quantité de tableaux, atteint un point de non retour. 

Il rencontre Renoir sur la Côte d’Azur peu avant la mort de celui-ci. 

Il meurt vieux, et, semble-il, apaisé. Converti au catholicisme à la fin de sa vie, il passe ses derniers jours auprès de sa femme, reclus dans sa maison francilienne où il s’est créé un atelier, un refuge. 

Et tandis que je noircis mon carnet encore vierge de ces quelques lignes, je me demande si, plus que les femmes à la peau de porcelaine qu’il a aimées toute sa vie, ce ne sont pas ses démons qui ont été ses véritables muses, et si, plus que les peintres et maîtres qu’il a tant admirés, ce n’est pas son exil qui a magnifié son trait, et enfin si, plus que les excès auto-destructeurs dans lesquels il s’est jeté dans les années vingt, ce n’est pas la recherche aveugle, effrénée et désespérée de l’étourdissement constant qui a donné autant d’intensité aux couleurs de ses tableaux. Mais je divague peut-être, et me représente des toiles dans les toiles, où mon histoire se cherche une place timide, où l’exilée en moi trouve un écho mégalomane à ses propres failles. 

Mais n’est-ce pas cela, au fond, qui fait que l’art est art ? Lorsque l’oeuvre se fraye un chemin jusqu’à votre âme, y loge peut-être quelque chose, un petit bout d’éternel; lorsque vous y voyez une parcelle de votre histoire, un point, un trait, une courbe qui vous fait croire, par un tour de génie dont seuls les Grands ont le secret, qu’il y a un clin d’oeil pour vous dans ce tableau. 

Chroniques, Théâtre

Intra Muros – Pièce de théâtre d’Alexis Michalik

Théâtre de la Pépinière, Paris 2ème, jusqu’au 28 février 2019 (12€ à 44€)

Je sors de la pièce avec un sentiment que quelque chose de crucial m’échappe. Quelque chose qui ferait passer ce moment de théâtre de « c’était sympa » à « c’était grandiose ». Alors je cours chercher sur internet quelques indices sur cette fin qui m’a, pour le coup, laissée sur ma faim (le jeu de mots n’est pas intentionnel et légèrement superflu, mais passons), mais je ne trouve rien qui apaise cette frustration qui me poursuit quelques heures, et même un peu en filigrane le lendemain.

C’est la troisième fois que j’assiste à une pièce d’Alexis Michalik (par grandeur d’âme, je vous épargne le jeu de mots malheureux avec le pâtissier homonyme – à une lettre près). « Le porteur d’histoires » m’avait effectivement portée, « Edmond » m’avait déçue ; l’admiration que je prête à De Rostand étant infinie et presque un peu trop subjective, je n’ai pas aimé voir ce génie de l’alexandrin dépeint en un personnage dénué de profondeur, peu sûr de lui et certainement pas à la hauteur de sa grande oeuvre : Cyrano. Intra Muros me laisse dubitative et légèrement agacée d’être passée si près de LA grande émotion. Alors il est vrai, assister à une pièce de Michalik, c’est avoir l’assurance de passer un très bon moment de théâtre, avec cette fluidité de mouvement et de rythme qui ne peut que vous enchanter. Les mêmes acteurs jouent différents personnages et vous ne pouvez qu’être bluffés par la facilité qu’ils ont à vous plonger d’un univers à un autre. 

Mais quand même. Tous les éléments sont là pour en faire une grande pièce de théâtre : un sujet intéressant (l’introduction m’a d’ailleurs fait miroiter une très belle introspection sur les émotions de l’acteur en tant qu’individu à part entière, le passage de l’acteur au personnage, ce passage si étroit, presque invisible parfois que l’un peut être confondu avec l’autre), des acteurs franchement doués, une mise en scène réussie, mais le résultat est tombé à plat. Quelque chose n’a pas pris, le message principal s’est perdu quelque part entre l’introduction et la conclusion (qui sont les meilleures parties du spectacle à mon sens). Alors il se peut que je me trompe, que je cherche à travers les lignes un message qui n’existe pas et qui n’a jamais existé, et qu’il ne s’agit en fait que d’une simple comédie amusante et qui ne vole pas haut. Si c’est le cas j’en fais amende honorable, mais il serait étonnant et même très décevant d’arriver à réunir autant d’intelligence artistique sans une trame analytique en toile de fond qui emporterait et bouleverserait les spectateurs. Ce moment si exceptionnel où vous restez scotché sur votre siège, pendant quelques secondes irrespirables avant que d’une seule voix la salle entière n’acclame la prouesse et le génie. Et c’est cela, je pense, qui me fait dire à la fin de la pièce « oh ben zut ! »