Chroniques, Livres

Florida – Olivier Bourdeaut

Attention coup de cœur. Vous me direz que je suis acquise à la cause d’Olivier Bourdeaut, vous n’auriez pas tout à fait tort, mais quand même. Parce que Florida n’a rien à voir avec « En attendant Bojangles ». Écrit à la première personne, phrases courtes, percutantes, humour grinçant, Florida c’est l’histoire d’Elizabeth Vernn, 7 ans, que sa mère traîne de concours en concours. De l’autre côté de l’Atlantique, ça s’appelle être une mini-miss. Des concours de beauté où les petites filles sont maquillées, juchées et jugées sur des podiums. Sauf qu’Elizabeth grandit, et dans sa construction, quelque chose explose. Alors, ce corps qui était le seul lien avec ses parents, elle va le pousser à bout, elle va le tordre, elle va chercher à le briser, elle va lui faire hurler le désespoir d’une enfance gâchée par les ambitions maternelles.Elle sait, elle n’est pas dupe. Dans une lucidité désarmante, elle sait qu’au fond, son obsession de vengeance, la destruction qu’elle cherche avec autant de violence et d’acharnement n’est rien d’autre que la destruction du lien. Olivier Bourdeaut touche du doigt les extrêmes de la psyché humaine. Sans mièvrerie, sans poésie, juste l’humain dans sa forme la plus brute et la plus fragile. Prouesse d’autant plus impressionnante qu’il écrit en se mettant à la place d’une femme. Il en saisit les douleurs, le rapport au corps, l’impossible vérité.Alors oui, Elizabeth grandit, et dans sa construction quelque chose explose. Florida est le récit de cette explosion

Aux Editions Finitude

Chroniques, Livres

Fahreinet 451 – Ray Bradbury

Le café du classique, c’est comme un café tout court, quand tu y prends goût, tu as du mal à t’en passer.

Cette fois, nous sommes 45 à nous attaquer au livre de Ray Bradbury, au titre imprononçable pour nous autres latins, Fahreinet 451. C’est la température à laquelle on dit que les livres brûlent. En 1953, R. Bradbury imagine un monde, où, pour unifier la pensée, taire les rebellions, les livres sont brûlés, ironie du sort, par les pompiers. Les murs écrans remplacent les interactions, les portes annoncent les visiteurs, les vérandas et plus généralement tous les espaces où l’individu peut se laisser aller à penser, à discuter, sont supprimés. Tout n’est que technologie, tout n’est que vide.

Un malaise confus m’a accompagnée durant toute la lecture, ce n’est que vers la fin que la fulgurance m’est tombée dessus : je ne suis pas effrayée. Et je suis effrayée de ne pas être effrayée.

Alors certes, en 1953, R. Bradbury a imaginé un monde à l’extrême. Mais à se demander s’il est si loin du nôtre. La pensée unique, les écrans, la culture non essentielle… des petites choses comme ça auxquelles on s’habitue dangereusement au point de ne plus les voir, même dans une lecture de dystopie.

Alors je ne sais pas pour vous, mais même à Fahrenheit 451, moi ça me fait furieusement froid dans le dos.

Chroniques, Livres

De Grandes Espérances – Charles Dickens

Les classiques ont cela de bon qu’ils nous font voyager. Pas uniquement dans une époque ou pays lointains, mais aussi à travers ce style bien particulier qui utilise des temps d’une conjugaison qui moisit dans nos bescherelles d’adolescents.

Charles Dickens est connu pour écrire sur les enfants, en leur nom et à travers eux. Surtout ceux qui viennent de milieux populaires.
De grandes espérances ne déroge pas à la règle. Le petit Pip (Philip Pirrip) est orphelin, et élevé d’une main de fer par sa sœur. Il a pour ami cher Joe, le mari de celle-ci, et il sauve dans la naïveté et les peurs obscures de son enfance un forçat évadé.
Il est appelé un jour par Mme Havisham, l’excentrique et richissime vieille dame qui vit dans les ruines de son château et de son cœur brisé par un fiancé déserteur.

Dans ce château où le temps s’est figé, Pip fait la connaissance d’Estelle, enfant comme lui, élevée par Mme Havisham pour briser le cœur des hommes. Il en tombe instantanément amoureux, et fera tout pour s’élever à la hauteur de son rang, avec l’arrivée à point nommé de ce qu’il appellera « ses grandes espérances », une fortune qui lui tombe du ciel et qu’il attribuera à la bonté de Mme Havisham.

Voguant entre Londres de l’époque victorienne et les marais de son enfance, sa culpabilité et besoin de tourner le dos au monde qui l’a vu grandir et aux personnes qui lui sont chères, le jeune Pip grandit, découvre les déceptions et les fêlures, les amitiés et la bienveillance, en un mot découvre la vie, sous une plume mordante d’humour et d’intelligence.

Chroniques, Livres

Des Diables et des Saints – Jean-Baptiste Andrea

En refermant un livre de Jean-Baptiste Andrea, il y a toujours un temps de latence. Où les mots continuent de vous habiter, où les personnages continuent leur valse auprès de vous. Il y a souvent le manque aussi, de ne plus pouvoir les retrouver le soir avant de vous endormir.

Comme pour son précédent roman, Andrea va au plus juste de l’émotion. Cette fois, ses personnages sont des enfants, pensionnaires de l’orphelinat des Confins. Confins des Pyrénées, de l’humanité, des espoirs. Ne vous y trompez pas, ce roman est solaire, lumineux, musical, il vous transporte dans l’amitié qui se scelle et ne meurt jamais, dans les émois amoureux qui se déchiffrent par le corps et par les notes de Beethoven, dans le temps qui ne passe que dans l’espoir de la retrouver.

Joseph, Fouine, Souzix, Rose, Momo, Edison, et même toi Sinatra. Vous êtes encore là quelque part, vous dansez sur des notes d’un piano caché, vous êtes enfants, vous êtes adolescents. Vous avez dix, seize et soixante-dix ans à la fois. Loin d’être des diables, pas tout à fait des saints, vous êtes surtout des êtres de grâce nés d’une plume bouleversante.

Aux Editions l’Iconoclaste

Crédit Photo : Lesechos.fr

 

Chroniques, Livres

Cinq dans tes yeux – Hadrien Bels

Si vous cherchez un style au français parfait (au sens académique du terme), passez votre chemin.

Mais ça serait dommage.

Parce que le style est à l’image de la ville qu’il raconte, brut, sans fioritures, poétique à la pointe du jour et cru à la nuit tombée.
Le texte déclare un amour inconditionnel à Marseille, Marseille la belle, Marseille la laide, Marseille fille des rues et grande bourgeoise, Marseille terreau de l’immigration et de toutes les contradictions.

Avec tendresse et drôlerie, « cinq dans tes yeux » fige la cité phocéenne dans les années 90 (mais pas que, l’aspect temporel est vaporeux) et raconte la ville à l’image d’une poignée d’adolescents qui deviendront hommes, perdus, beaux, laids, marginaux, grands et déchus. Et entre sourires et émotion, Hadrien Bels mène à travers ce livre une réflexion plus large sur les cultures qui se mélangent, l’assimilation à outrance, la gentrification, la folklorisation jusqu’au ridicule du populaire, et avec intelligence dénonce le monde aseptisé d’une société qui clone les hommes lavés de leurs différences.

Aux Éditions de L’Iconoclaste

Crédit photo : Libération
Chroniques, Livres

La géante – Laurence Vilaine

Parfois, il n’y a que le silence à opposer à la beauté d’un texte et la puissance de son récit.
Alors, je me tais. Ce livre n’a pas besoin des mots d’une autre pour creuser son chemin jusqu’à votre cœur.
« Sans plus de lettres au pont Sémite, les précédentes ont tenu compagnie à mes longues soirées de décembre. Quand avec l’âge, il me coûte désormais en rentrant de la montagne de me mettre à ma table, au grenier, aux fourneaux, ma besogne m’est soudain devenue facile. Je faisais des onguents jusqu’à tard, j’effeuillais sans fatigue, je prenais tout mon temps, faisant du moment où je m’arrêtais pour lire une cérémonie en le retardant. Sur la marche du seuil souvent je me suis assise dans le froid. J’ôtais le givre ou la neige du serpolet pour le soulager un peu de l’hiver, et, dans mon vieux châle en laine, je récitais des morceaux de lettres à la nuit. Les mots justes se retiennent sans effort parce qu’eux-mêmes ont retenu l’essentiel, et sans faire de bruit, ils avaient la force d’une armada de poings contre la mort, la vie à gagner sinon rien, et je les recevais comme tels. Je les retenais comme la montagne retient le poids de la neige, chaque hiver elle s’en souvient, ils disaient aussi juste que le thym sent le thym, et l’immortelle des milliers de mois de juin. Dans son chagrin, cette femme puisait les mots qui ne cachaient rien, elle se mettait à nu comme elle allait prendre un bain et nageait dans des eaux profondes avec la peur de rien. A côté d’elle, je marchais morte, morte de marcher à côté de l’essentiel. Je ne savais pas ce que penser à quelqu’un voulait dire, le soir avant le sommeil qu’elle retardait pour ne pas être séparée de lui et dès le réveil. Je ne sais pas les mains qui brûlent et ce qu’aimer signifie, ni le sourire ni le désir grâce à des yeux de quelqu’un quelque part, fussent-ils à six-cents kilomètres. Ni la terreur d’un mot de trop qui ferait mal, ni l’insoutenable, la seule pensée que l’amour s’en aille à jamais – ce soir-là dans la nuit je me suis blottie. »
Pages 111-112.

Aux éditions Zulma

Chroniques, Livres

Comme un empire dans un empire – Alice Zeniter

Rien ne destinait L et Antoine à se rencontrer. Elle la hackeuse, lui l’assistant parlementaire arrivé là un peu par hasard. L qui vit au dedans, Antoine qui vit au dehors. Cette introduction pourrait vous induire en erreur. Vous croyez peut-être qu’il s’agit d’une histoire d’amour. Mais non, ou en tous cas pas dans le sens commun qu’on lui prête. On attend d’ailleurs bien une centaine de pages avant que la rencontre n’ait lieu. Entre-temps, Alice Zeniter dresse le portrait de ces deux protagonistes dans leurs mondes parallèles où ils se battent, chacun à leur façon, chacun avec leurs bagages, leurs lacunes, leur infaillibilité, pour un monde qui a plus de sens.

Ça va vite, pendant les deux premières parties du livre, logorrhée de phrases, d’actions, on passe de L à Antoine, d’Antoine à L. Il ne s’agit que d’eux deux, ça tire à l’infini sur leurs vies, parfois un peu trop, parfois il y a quelques longueurs. Les ramifications de certaines réflexions sont impressionnantes. Et les faire tenir toutes dans un roman tient du prodige. Ou de la folie. Ou du vertige.

Plusieurs personnages gravitent autour d’eux, mais on sent bien une volonté de les éclipser derriere l’épaisseur des deux premiers. Puis d’un coup, sans le soupçonner une seconde, l’orage se calme, et la dernière partie se voit se concentrer sur L, et paradoxalement la scène s’élargit, comme une caméra qui dézoome, inclut des personnages périphériques qui deviennent centraux pour quelques pages, et la fin apparaît comme une évidence.

Pour son originalité, pour nous faire découvrir le monde abyssal d’internet et non moins abyssal de la sphère parlementaire, « Comme un empire dans un empire » tire largement son épingle du jeu dans cette rentrée littéraire à laquelle on a souvent reproché d’être trop centrée sur l’auto-fiction.

Aux éditions Flammarion.

Chroniques, Livres

Le monde du vivant – Florent Marchet

Florent Marchet signe un premier roman sans prétention qui fait mouche. Parce qu’il parle d’ordinaire, d’une famille ordinaire aux drames ordinaires, aux idéaux giflés par la réalité de la vie.

Dans l’été caniculaire, à Levroux, la famille Wengler mène une vie de labeur, jalonnée par des incompréhensions qui empoisonnent leurs liens. Lien père-fille, lien mari-femme, lien frère-sœur, la famille se déchire en silence, se délite à force de non-dits et de frustrations.
Le père, dans une utopie bornée, s’acharne à faire vivre sa ferme biologique, et n’entend pas que ses proches puissent avoir d’autres aspirations.

L’adolescente rêve d’évasion, se sent emprisonnée dans des rêves paternels qui ne lui appartiennent pas. Entre les deux gravitent la mère et le petit frère, tampons des colères sourdes, jusqu’à l’arrivée dun tiers, Théo, qui va cristalliser tous ces mouvements confus.

Une analyse fine des personnalités dans ce premier roman qui se lit facilement et qui est une première pour Florent Marchet.

L’artiste aux multiples casquettes (Il est d’abord musicien et interprète) s’inspire des lieux de sa jeunesse, qu’une exposition photo sous l’objectif du très talentueux Eric Caravaca avait prévu d’immortaliser cet automne.

Aux Éditions Stock.

Chroniques, Livres

La couleur pourpre – Alice Walker

Lecture commune avec d’autres camarades blogueurs de ce classique américain salué par le prix Pulitzer à sa sortie et porté à l’écran par Spielberg en 88.

Je n’en savais rien en ouvrant le livre, je lis rarement les quatrièmes de couverture pour conserver tout le mystère du roman dans lequel je plonge. Et voilà la claque dès la première page. Et en voilà cinquante englouties dès la première soirée de lecture. Le roman s’étale sur plusieurs décennies du 20ème siècle, depuis les 14 ans de la narratrice, Celie, jusqu’à son âge mûr et ses cheveux blancs. Issue d’une famille pauvre, non instruite, elle raconte au « bon Dieu » les drames qui s’enchaînent avec la langue et la résignation d’une enfant déscolarisée et promise à la servitude par son genre et sa couleur de peau.

Au fil des rencontres sur sa route, malgré les coups qu’elle reçoit, les douleurs du corps, le manque de sa sœur, la fatalité de son rang, sa langue et son esprit s’affranchissent, et on assiste à un glissement subtil de la jeune adolescente vers une femme plus consciente de ses désirs dans cette Amérique des années 20, puis 30 jusqu’à ce qu’on imagine être les années 70.

Cette chronique reste vague à dessein pour ne pas dévoiler l’essentiel, et pour faire écho à l’écriture d’Alice Walker, qui ne dit pas tout, qui laisse tout l’espace au lecteur de deviner certaines subtilités (ce qui est à mon sens l’un des grands atouts de ce livre).

Cette lecture commune 2.0 a vu se déchaîner les avis mitigés, enthousiastes ou incommodés, dont les chroniques sont à retrouver sur les comptes des amis blogueurs.

Celie n’aura laissé personne indifférent.

Chroniques, Livres

Les bons garçons – Pierre Adrian

29 ans. C’est l’âge de l’auteur.

Je me souviens d’en avoir eu le souffle coupé lorsqu’en plein milieu de la nuit, en plein milieu du roman, je me suis mise à chercher sur le net qui était ce Pierre Adrian, capable d’écrire avec autant de force, de brutalité et de vécu l’Italie des années 70. Comme s’il y avait grandi, comme s’il parlait de choses qu’il avait lui-même connues.

29 ans. Et ce qu’il vous raconte, vous le sentez dans votre chair, autant l’odeur du laurier à la fin de l’été, la liesse de Rome le soir de la victoire du championnat d’Europe, que les tasses de café qui s’entrechoquent sur le comptoir des bars. La mer immobile et le soleil qui s’y reflète, les Fiat qui démarrent, le bruit de la ville. Tout. Vous y êtes, avec les personnages, les deux adolescentes qui veulent sortir de leur banlieue et de l’enfance, les quatre amis oisifs de la bourgeoisie romaine. La rencontre. La violence de l’adolescence, les soubresauts de ces quelques années où tout est aigu, vif, le clash sans compromission entre le possible et l’interdit. Jusqu’à l’irréparable. Jusqu’au mont Circé.

Le roman est inspiré d’un fait divers réel et sordide. Mais là n’est pas l’intérêt du livre, j’irai même jusqu’à dire qu’il le dessert un peu tant il n’en avait pas besoin pour toucher dans le mille. La fin sera d’ailleurs sans suspense si vous lisez la quatrième de couverture ou si vous tapez Circeo sur le net.

29 ans. Ce roman aurait été écrit par un auteur de deux fois son âge que je n’aurais pas cillé.

29 ans. Un grand garçon.

Aux Editions les Equateurs