Chroniques, Expos

Collection Courtauld, à la FLV

« La vérité est que l’art doit être l’écriture de la vie ». Édouard Manet, 1897.

Voir Manet, Degas, Monet, Toulouse-Lautrec, Cézanne, Van Gogh et Gauguin réunis. Et se dire que l’homme est bien petit devant tant de beauté.

Samuel Courtauld est un grand mécène du XXeme siècle qui a fait fortune dans le textile. C’est sa collection personnelle qui est exposée ici.

Merci à Céline pour m’avoir éclairée sur cette époque, en m’apprenant notamment que Manet était le précurseur d’un mouvement avant-gardiste. Refusé par les salons dits classiques de l’époque (peut-on l’imaginer aujourd’hui?), ses toiles étaient à contre courant du classicisme et représentaient pour la première fois le quotidien du peuple.

Chroniques, Expos

Voyage Virtuel dans les cités millénaires – Exposition à l’IMA


Alep est pour celui qui y arrive un jardin d’éden, et pour ceux qui s’en éloignent un feu ardent


Abu L-‘Alâ al-Ma’arri, X-Xième siècle

Alep, Palmyre, Mossoul.

D’abord se déploie la carte, immense, taille humaine, pour situer ces villes dont nous entendons tant parler, en Syrie, en Irak, en Libye, tristement rendues célèbres par les guerres géopolitiques et l’avènement de l’obscurantisme qui en découle. Les situer sur la face du monde et se rendre compte que ce n’est pas si loin. A Paris, il me suffit de tendre le bras et me voici en Orient.

Et soudain le silence. Un silence pieux malgré la foule, un silence lourd de cris étouffés, de ruines éventrées, échos plaintifs de villes millénaires à l’agonie par la folie meurtrière des hommes ; tentant de reprendre vie, pièces d’un puzzle rabiboché, bancal, virtuel, et pourtant là, par le génie de ces mêmes hommes.

Défilent les images reconstituées d’une gloire passée, la mosquée Al Nouri à Mossoul, le palais assyrien de Ninive (vieux de 2600 ans), ou le théâtre romain de Leptis Megna en Libye. Et comme un poignard dans le cœur, s’y superposent ensuite les débris de ce qui, une seconde avant, s’élevait avec fierté.

Une seconde. A l’échelle du temps, c’est ce qu’il a fallu à l’homme du XXI ème siècle pour détruire deux mille ans d’histoire, et avec elle, des cités qui ont survécu aux Romains, aux abbassides, et aux Ottomans.

Et sortir de là, le cœur tout aussi lourd du poids de l’histoire oubliée, celle d’hier, et celle qui se joue aujourd’hui, à nos portes.

Visite virtuelle de la mosquée Al Nouri

Note IMA : ” A présent, faites quelques pas et… envolez-vous ! Car c’est à un impressionnant survol que vous convient ces « Cités millénaires », grâce à la projection à très grande échelle d’images inédites captées par des drones et reconstituées en 3D par la société Iconem, avec laquelle l’IMA s’est associée pour cette exposition réalisée en partenariat avec l’Unesco.”

Chroniques, Expos

“Quelque part dans le désert” Ron Amir

Exposition au musée d’art moderne de la ville de Paris.

Quand l’art se met au service de l’humain.

Une exposition bouleversante sur les réfugiés africains, tentant d’accéder à une vie meilleure en Israël. Il n’y a malheureusement pas foule, contrairement à la salle adjacente où les visiteurs se bousculent pour admirer les toiles de Zao Wou Ki (non moins spectaculaires). Mais cela dit quelque chose de notre capacité à dénier la détresse, à refuser de la voir étalée sous nos yeux et sur le seuil de nos maisons.

Point de visages sur ces photographies. Mais des objets, un désert rendu salon par-ci, cuisine par-là, par la création de ces hommes et femmes qui voient en des simples pierres une possibilité de délimiter une mosquée de fortune, ou en des boîtes de conserves de quoi faire des haltères pour une salle de sport sommaire. L’instinct de survie démultiplie la débrouillardise et la créativité.

Et quelques calligraphies, écrites avec peine pour garder une trace de leur passage. Car les hommes oublient, contrairement à la terre qui se souvient.

Point de misère. Il y a là quelque chose qui s’accroche à la vie, qui veut y croire. Un silence dans le désert qui crie au monde entier qu’ils sont là. Et qu’avant d’être réfugiés, il s’agit avant tout de femmes et d’hommes en quête d’une dignité qui leur a été arrachée.

Extrait de la présentation de l’exposition :

Né en 1973, Ron Amir est une figure singulière de la scène photographique israélienne.

« Quelque part dans le désert » est un ensemble de trente photographies réalisées entre 2014 et 2018 à Holot, un centre de rétention situé dans le désert de Néguev, au sud d’Israël. Ces migrants qui avaient fui leur pays pour échapper à la terreur et à l’oppression n’étaient pas autorisés à vivre ou travailler légalement en Israël. Malgré ces règles strictes, ils pouvaient sortir du camp à condition d’y revenir le soir.

Chroniques, Expos

Picasso Bleu et Rose

Exposition Picasso, bleu et rose, Musée d’Orsay – jusqu’au 6 janvier 2019

J’ai mis du temps à écrire cette chronique tellement il me semblait vital de restituer les impressions le plus fidèlement possible, mais il est temps que j’admette que c’est peine perdue.

Ce sont les plus grandes œuvres qui nous laissent étrangement le plus à court de mots. Parce qu’elles font appel à nos sens les plus abstraits, interpellent ce qu’il y a de plus intime en nous. Parce que, si elles pouvaient user des mots, elles n’auraient pas recours à la peinture. Parce que les mots ne permettent pas autant de palettes, ne contiennent pas autant de nuances. Parce que si un mot compte dix synonymes limités par sa langue aux frontières définies, la couleur en compte mille, et la seule frontière qu’elle connaît est terrestre pour l’instant. Alors, plus que de vous parler des tableaux, que je vous invite à aller voir, voir par vous-mêmes l’effet que cela produit sur vous, je m’évertuerai à parler ici du parcours de l’artiste, tel qu’il m’a été donné de le percevoir et de le ressentir. Je tiens donc à préciser, dans un souci d’honnêteté intellectuelle, que si les faits historiques que je relate ici sont avérés, les tournants et pensées que j’attribue à Picasso ne sont que des associations de ma propre lecture face à ses toiles.

La collection temporaire présentée au Musée d’Orsay retrace les débuts de Picasso, entre 1900 et 1906. Avant d’être le grand maître du cubisme, Picasso, né Pablo Ruiz à la fin du 19ème siècle, est un jeune homme qui se cherche. A la lumière de ses aînés, et parfois dans leur ombre, il tâtonne. Au début du 20ème, l’éphémère est roi. Un courant en chasse un autre, passions nomades des artistes qui font et défont les mouvements d’un coup de pinceau. Et Picasso, me semble-t-il, se laisse volontiers porter par ces vents artistiques. Mais n’est-ce pas là la définition-même de la jeunesse ? Ne pas choisir, et tout choisir en même temps ? Ne renoncer à rien ? Et effectivement, entre Paris et Barcelone, il ne choisit pas. Tout comme ces courants qui vont et viennent, Picasso laisse son pinceau déambuler, de couleur en couleur, de ville en ville. Il côtoie les artistes de sa génération, s’essaye au fauvisme, emprunte aux aînés leur palette, et leur rend hommage par plusieurs menus clins d’œil.

Mais à l’aube de sa vingtaine, la mort se rappelle à lui de la façon la plus brutale qui soit, lorsque son ami Casagemas, avec lequel il partageait un modeste atelier à Paris, met un terme à sa jeune vie ; et, conséquence de son geste funeste, à l’insouciance du pinceau de Picasso. Il y aura un avant et un après. La phase bleue éclot dans la douleur, prend vie dans la mort. Comme pour défier le déni, comme pour affronter la mort, s’en défendre, la dompter peut-être, il la dessine. Plusieurs fois, son ami est représenté sur son lit funèbre, le coup fatal du revolver bien visible, noirci de sang sur la tempe. Il ne s’arrêtera pas là. Il peint la mort sur le visage des femmes déformé par la douleur et la maladie. Il la dessine sur les traits d’hommes hurlant un désespoir silencieux. Il fera du bleu la couleur du chagrin, froide comme ses nuits, oppressante comme ses jours où le soleil ne brille plus.

« La vie », œuvre magistrale peinte en 1903, clôturera cette période. Comme pour effacer sa jeunesse, ou l’enfouir, il la superpose au tableau « Derniers moments », qui a été consacré à l’exposition universelle trois ans plus tôt. La toile originale n’existera plus que dans sa mémoire.

“La vie” mai 1903

La transition s’opère lentement, on voit la palette monochromatique du bleu qui lutte, puis s’efface timidement en faveur du rose et ocre, lesquels finissent par prendre tout l’espace dans le cœur du peintre et sur les sujets qu’il dessine.

La période rose se caractérise principalement par le nu féminin. Sur ses toiles, ses modèles redressent un regard espiègle. Elles ne courbent plus l’échine face à l’adversité et la misère. Elles sont tout en formes et en courbes, et rappellent étrangement les œuvres de Gauguin. Trois ans plus tard, en 1909, Picasso révolutionnera le monde artistique en inventant le cubisme, et les périodes bleue et rose, enchevêtrées, complémentaires, ne seront plus connues que des amateurs d’art et connaisseurs du peintre.

Oserais-je dire ici que les tableaux qui m’ont le plus marquée sont ceux de la période bleue ? Car lorsque Picasso peint en ocre et rose, se dégage de ses toiles cette monotonie de ceux qui coulent des jours résignés. Et pour cause, elles ont été peintes dans ces montagnes des Pyrénées espagnoles où il s’est retiré quelques mois, qu’il redécouvre, et auxquelles il emprunte les couleurs paisibles.

Le bonheur est-il fade ? Nous rend-il stérile de toute création ? Par extension, et pour ne citer qu’eux, les œuvres de Dostoïevski auraient-elles survécu sans le caractère torturé de leur auteur ? Les aurait-il même écrites ? Et celles de Kafka, auraient-elles traversé les continents si elles n’avaient été dictées par l’âme sombre du Tchèque ? Allez savoir…

Il y a du bleu en chacun de nous. Certains le taisent. D’autres l’écrivent. Picasso, lui, l’a peint.

Chroniques, Expos

Exposition – Foujita, un peintre d’Orient en Occident

Foujita. Peintre inconnu de mon répertoire, je suis tombée par hasard sur une exposition au musée Maillol cet été. L’exposition est malheureusement déjà terminée à Paris, mais j’ai eu la chance de la voir in extremis avant qu’elle ne s’envole et ne prenne possession d’autres lieux. Toujours est-il, je tenais à rendre hommage à ce peintre Japonais auquel, malgré l’époque et la culture qui nous séparent, je ne peux m’empêcher de m’identifier. Un peu. Et si vous y prêtez attention, vous y trouverez peut-être un écho à votre propre histoire.   

Ce peintre s’est exilé par amour de Paris et de la peinture. Il n’a pourtant cessé de rechercher ses racines tout au long de sa vie et de ses oeuvres, bien loin de la terre d’Orient qui l’a vu naître. Et si on le sent tituber, hésiter au fil des ans, si les styles se mélangent, son trait demeure pourtant extraordinairement précis. Ses toiles, au gré des mouvements qui animent sa recherche de soi, ne trompent pas un oeil averti. Ou plutôt, un oeil familier des mêmes mouvements. On le voit rechercher l’enfant, le père, la mère, trébucher sur des passions ; tous les sujets qui, au fond, animent l’humain depuis toujours. Il reste fidèle à ses muses qu’il peint dans leur éclat le plus éblouissant, il les aime démesurément, au point de les laisser partir, au point de les confier à d’autres, sans jalousie, sans désir de possession. Il perçoit l’éclair de tristesse, invisible à l’oeil du commun, et le rend éternel. Il vit un amour passionné avec son pays natal, et, comme pour tous les exilés, lui voue des sentiments ambivalents de rejet et d’attachement viscéraux. Et le Japon le lui rend bien. Pour autant, si parfois il semble le renier, il n’oublie pas de lui rendre hommage dans beaucoup de ses toiles; les estampes bien sûr, mais beaucoup plus subtilement dans certaines peintures où le trait du pays levant est reconnaissable entre mille. 

Il côtoie Picasso, Matisse et Modigliani (pour un amateur, il est d’ailleurs perturbant que l’oeuvre de l’un puisse à ce point se confondre parfois avec celle de l’autre), devient un des peintres les plus en vue de Montparnasse des années folles, se noie dans le tourbillon débridé et excentrique des cabarets aux épaisses tentures de velours rouge, dort peu, retourne à son atelier, travaille excessivement, produit quantité de tableaux, atteint un point de non retour. 

Il rencontre Renoir sur la Côte d’Azur peu avant la mort de celui-ci. 

Il meurt vieux, et, semble-il, apaisé. Converti au catholicisme à la fin de sa vie, il passe ses derniers jours auprès de sa femme, reclus dans sa maison francilienne où il s’est créé un atelier, un refuge. 

Et tandis que je noircis mon carnet encore vierge de ces quelques lignes, je me demande si, plus que les femmes à la peau de porcelaine qu’il a aimées toute sa vie, ce ne sont pas ses démons qui ont été ses véritables muses, et si, plus que les peintres et maîtres qu’il a tant admirés, ce n’est pas son exil qui a magnifié son trait, et enfin si, plus que les excès auto-destructeurs dans lesquels il s’est jeté dans les années vingt, ce n’est pas la recherche aveugle, effrénée et désespérée de l’étourdissement constant qui a donné autant d’intensité aux couleurs de ses tableaux. Mais je divague peut-être, et me représente des toiles dans les toiles, où mon histoire se cherche une place timide, où l’exilée en moi trouve un écho mégalomane à ses propres failles. 

Mais n’est-ce pas cela, au fond, qui fait que l’art est art ? Lorsque l’oeuvre se fraye un chemin jusqu’à votre âme, y loge peut-être quelque chose, un petit bout d’éternel; lorsque vous y voyez une parcelle de votre histoire, un point, un trait, une courbe qui vous fait croire, par un tour de génie dont seuls les Grands ont le secret, qu’il y a un clin d’oeil pour vous dans ce tableau.