Créations, Texte court

Yasmine

Elle était là, belle, grande, gracieuse. Elle dansait au milieu des tables, virevoltait, ondulait sous un nuage de voiles d’ivoire. Elle semblait sortir tout droit d’un conte de Shéhérazade, qui, chaque soir, pendant mille et une nuits où elle défiait la mort, a tenu son époux suspendu aux contes qu’elle inventait. Et lui, l’homme d’occident, lui, l’homme à la peau blanche, aux yeux d’un bleu qui n’existait pas dans les contrées qu’il foulait, n’avait de cesse de la regarder se déhancher, sensuellement, au gré des tam-tam des musiciens. Chaque geste, chaque mouvement était un hymne à la beauté, une invitation à la terre promise. Sa chevelure et ses voiles voltigeaient, portés par leur propre vent. Il maudissait ces yeux d’hommes qui la regardaient, qui la dénudaient, qui l’imaginaient déjà dans leurs lits. Lui, il avait un autre regard sur elle ; un regard pieux, un regard d’amant éperdu, noyé dans les contes où elle ne dansait que pour lui. Il n’osait plus la contempler, le feu qui lui brûlait les veines lorsque ses yeux se posaient sur ses courbes lui était insupportable. Et pourtant, il ne pouvait s’empêcher de venir chaque soir en ce lieu tamisé, où l’odeur de l’encens savamment mélangé semblait embrumer l’esprit et exacerber les sens. Plus que le vin dans sa coupe, c’est d’elle qu’il s’enivrait, de ses gestes, du mouvement de ses courbes qui épousait parfaitement chaque note de musique. Il l’aimait sans la connaître, se languissait d’elle alors que son prénom même lui était inconnu. Dieu, ce qu’il donnerait pour un regard. Aux dernières notes entamées, alors qu’il pensait son salut proche, il s’efforça encore une fois de se persuader que son obsession devait cesser. Mais lorsque, brûlé par son désir, il chercha quelque refuge dans sa boisson, il sut que cette terre d’orient allait l’accueillir pour bien longtemps encore.

One thought on “Yasmine”

  1. Chakib says:

    Prometteur…

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