Comme toujours, je suis étonnée et admirative de la puissance de certains romans alors même qu’ils sont cousus de sujets si simples; et c’est précisément ce qui fait mouche. En l’occurrence, il s’agit ici de la transformation d’une enfant, puis d’une adolescente, et enfin d’une adulte, jetée dans l’arène de la vie.
On a envie de lire vite, de tourner les pages rapidement pour connaître la suite, et en même temps on a l’envie encore plus tenace de faire durer le plaisir d’une lecture fine, de lire et relire encore certaines tournures qui semblent être là par une évidence simple, qui semblent avoir trouvé leur place sans effort.
Et cette dualité m’a fait vivre tout au long de la lecture. En fait, elle m’a fait vivre la lecture. .
J’ai senti l’odeur de l’herbe mouillée, j’ai senti la douleur que laissent ceux dont l’absence est insupportable, j’ai senti ce que c’était que de grandir trop vite, trop tôt, j’ai ressenti cette grand mère, j’ai vécu presque chaque mot comme une douce violence, une violente douceur.
Tout se passe dans une ferme, baptisée « le Paradis », quelques hectares de terre, et pourtant on voyage bien loin, dans cette famille pleine de silences, de rudesse et de poésie, aimante et maladroite, bancale et solide, fragile et touchante, rustre comme une main qui a connu le travail bien trop tôt, et tendre comme la caresse qu’elle sait encore donner.
Encore la dualité.
Et à la dernière page, j’ai eu du mal à les quitter, Gabriel, Blanche, Emilienne et les autres, eux dont j’avais suivi les déchirements, nuit après nuit. Me reste, en plus du souvenir d’une lecture forte, dérangeante parfois, une question en point d’orgue, un silence suspendu dans le temps : que reste-t-il de l’humain lorsque ses passions primaires sont bafouées, trahies, quand bien même vivrait-il au Paradis ?