Chroniques, Livres

Comme un empire dans un empire – Alice Zeniter

Rien ne destinait L et Antoine à se rencontrer. Elle la hackeuse, lui l’assistant parlementaire arrivé là un peu par hasard. L qui vit au dedans, Antoine qui vit au dehors. Cette introduction pourrait vous induire en erreur. Vous croyez peut-être qu’il s’agit d’une histoire d’amour. Mais non, ou en tous cas pas dans le sens commun qu’on lui prête. On attend d’ailleurs bien une centaine de pages avant que la rencontre n’ait lieu. Entre-temps, Alice Zeniter dresse le portrait de ces deux protagonistes dans leurs mondes parallèles où ils se battent, chacun à leur façon, chacun avec leurs bagages, leurs lacunes, leur infaillibilité, pour un monde qui a plus de sens.

Ça va vite, pendant les deux premières parties du livre, logorrhée de phrases, d’actions, on passe de L à Antoine, d’Antoine à L. Il ne s’agit que d’eux deux, ça tire à l’infini sur leurs vies, parfois un peu trop, parfois il y a quelques longueurs. Les ramifications de certaines réflexions sont impressionnantes. Et les faire tenir toutes dans un roman tient du prodige. Ou de la folie. Ou du vertige.

Plusieurs personnages gravitent autour d’eux, mais on sent bien une volonté de les éclipser derriere l’épaisseur des deux premiers. Puis d’un coup, sans le soupçonner une seconde, l’orage se calme, et la dernière partie se voit se concentrer sur L, et paradoxalement la scène s’élargit, comme une caméra qui dézoome, inclut des personnages périphériques qui deviennent centraux pour quelques pages, et la fin apparaît comme une évidence.

Pour son originalité, pour nous faire découvrir le monde abyssal d’internet et non moins abyssal de la sphère parlementaire, « Comme un empire dans un empire » tire largement son épingle du jeu dans cette rentrée littéraire à laquelle on a souvent reproché d’être trop centrée sur l’auto-fiction.

Aux éditions Flammarion.

Chroniques, Livres

Les bons garçons – Pierre Adrian

29 ans. C’est l’âge de l’auteur.

Je me souviens d’en avoir eu le souffle coupé lorsqu’en plein milieu de la nuit, en plein milieu du roman, je me suis mise à chercher sur le net qui était ce Pierre Adrian, capable d’écrire avec autant de force, de brutalité et de vécu l’Italie des années 70. Comme s’il y avait grandi, comme s’il parlait de choses qu’il avait lui-même connues.

29 ans. Et ce qu’il vous raconte, vous le sentez dans votre chair, autant l’odeur du laurier à la fin de l’été, la liesse de Rome le soir de la victoire du championnat d’Europe, que les tasses de café qui s’entrechoquent sur le comptoir des bars. La mer immobile et le soleil qui s’y reflète, les Fiat qui démarrent, le bruit de la ville. Tout. Vous y êtes, avec les personnages, les deux adolescentes qui veulent sortir de leur banlieue et de l’enfance, les quatre amis oisifs de la bourgeoisie romaine. La rencontre. La violence de l’adolescence, les soubresauts de ces quelques années où tout est aigu, vif, le clash sans compromission entre le possible et l’interdit. Jusqu’à l’irréparable. Jusqu’au mont Circé.

Le roman est inspiré d’un fait divers réel et sordide. Mais là n’est pas l’intérêt du livre, j’irai même jusqu’à dire qu’il le dessert un peu tant il n’en avait pas besoin pour toucher dans le mille. La fin sera d’ailleurs sans suspense si vous lisez la quatrième de couverture ou si vous tapez Circeo sur le net.

29 ans. Ce roman aurait été écrit par un auteur de deux fois son âge que je n’aurais pas cillé.

29 ans. Un grand garçon.

Aux Editions les Equateurs