25 Novembre 2019,
Au début, j’ai eu le sentiment de me retrouver dans un dîner entre amis au coin du feu, où, pour raconter les prémices des premiers mots qui ont fait d’eux des écrivains, il fallait raconter l’intime, le rapport à la patrie, aux années de plomb, la politique, le poids de l’histoire, familiale et coloniale (parfois confondues), le protectorat français et la résistance, le rapport au corps et à la religion.
Une discussion à sept cœurs, où les masques, d’habitude si présents dans cette société qui m’est pourtant chère, semblaient se fissurer, mouvement nécessaire si l’on veut parler avec sincérité du parcours si personnel qu’on a avec l’écriture.
Sept auteurs aux histoires différentes, parfois opposées (dont les parents sont pour certains illettrés, et qui écrivent, une génération plus tard, dans une langue qui ne leur est pas maternelle), différents donc dans leurs parcours, la langue choisie pour l’écriture, les idées, les personnalités, mais avec la passion commune de l’écriture et une frénésie touchante pour la lecture dans leur jeunesse.
Un constat frappe très vite, paradoxal et intriguant : l’amour commun pour la littérature française, comme un ciment qui les unit et les ancre dans la terre, la lecture absolue des classiques de l’oppresseur pourtant combattu dans les années coloniales. Peut-être moins intriguant que cela si on y pense, à cause d’un syndrome de Stockholm encore présent deux générations plus tard : tout Marocain, et à fortiori l’écrivain, a un lien viscéral et complexe, de désamour et de tendresse avec le Français, ses écrits et sa langue. Il l’envie et le redoute, veut lui ressembler mais le rejette.
Alors, lorsque le Marocain se retrouve sur la scène du Français, sur ses terres, au cœur même de sa culture, ça se transforme vite en éclats de voix, en passions déchaînées, ça s’invective entre auteurs, le temps s’arrête, s’allonge, cela dure deux heures au lieu d’une, l’audience de la maison de la poésie, d’habitude plongée dans un silence presque religieux, se mêle aux débats, rigole, s’exclame, apostrophe l’auteur, le compatriote, l’arabophone, le francophone.
Et moi, dans ce bordel qui me semble si familier, je me dis que cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi fière d’appartenir à un gène aussi riche, aussi complexe, aussi bancal, aussi sanguin.
Aussi vivant.
Aussi marocain.
Auteurs présents à cette rencontre :
Yasmine Chami, Youssouf El Alamy, Jalal El Hakmaoui, Youssef Fadel, Mohamed Hmoudane, Mustapha Kebir Ammi & Latifa Labsir