Chroniques, Livres

La maison – Emma Becker

Emma Becker s’est glissée corps et âme pendant deux ans dans une maison close berlinoise. Résultat : ce roman inclassable. Revient-on indemne de ce genre d’expérience ? D’écriture ?

Un psychanalyste se frotterait les mains d’avoir une patiente telle que Emma Becker. Parce qu’il faut une bonne dose de névrose et probablement autant de folie (et une foi entière en elle et en ses capacités) pour faire ce qu’elle a fait : pour écrire sur les prostituées, elle en est devenue une elle-même, en rejoignant une maison close à Berlin pendant deux ans et demi. Mais au final on s’en fiche, l’essentiel est là sous nos yeux, sous nos mains, dans la forme de mots qui traduisent le corps, presqu’un toucher virginal, une cambrure de papier.

Ce roman questionne la relation de la femme au plus vieux métier du monde et plus particulièrement la fascination de certaines d’entre elles – d’entre nous, comme Emma Becker, pour celles qui se dédient à la sexualité. Le désir féminin y est abordé, décrit, analysé, pensé, sous toutes ses formes, de la plus crue à la plus poétique.

Naïvement presque, elle choisit d’aborder ce sujet avec bienveillance, refusant toute violence ou contrainte, ou même d’aborder les raisons qui poussent ces femmes au choix de la profession. Elle choisit l’angle de l’humain, sans en rajouter, ni dans le trop ni dans le pas assez, sans embellir ni le rendre glauque. J’ai eu le sentiment parfois de me retrouver dans un de ces tableaux de Toulouse-Lautrec, qui, entre tous, a su capter avec bienveillance l’intimité de ces êtres, qui sont femmes aussi, qui sont femmes avant tout.

Est-ce de la littérature? Et pourquoi pas ? Il y a de l’esprit, il y’a de l’humilité, il y a des mots qui prennent tout leur sens, et surtout il n’y a pas de jugement. Et si parfois c’est cru , bizarrement ça n’est jamais vulgaire. Si parfois j’ai dû faire une halte, j’ai continué avec une certaine fascination et tenu à lire jusqu’à la fin.

C’est une lecture dérangeante, et je pense sincèrement qu’il est compliqué de vous recommander ou non de lire ce livre, parce que sa lecture est très personnelle et dépend de la relation que chacun de nous entretient avec ce sujet. Je comprendrais qu’on ait de la gêne à lire certains passages, voire du dégoût, je comprendrais qu’on ne comprenne pas.

Je serais d’ailleurs curieuse de savoir si les hommes et les femmes ont reçu cette lecture de la même façon, avec la même subtilité et la même nuance, et comment l’ère du #metoo s’accommode de ce témoignage qui fait valser le bienséance .
A bon entendeur.

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