On pourrait s’arrêter à la première page, là où une suite d’acronymes militaires censés faciliter notre lecture vous donne le tournis. On pourrait s’arrêter au tiers, lorsque certaines descriptions des tranchées peuvent devenir longues à lire pour les non-initiés (j’avoue néanmoins avoir sauté quelques pages).
On pourrait, mais on ne le fait pas. Parce que Romain Slocombe a le talent de nous harponner, par son écriture qui alterne le monotone et l’urgent, la description et l’action, l’horreur et la poésie ; parce qu’il arrive à tirer 500 pages de dix jours de fuite de 5 protagonistes différents, à l’heure où les Allemands s’apprêtent à entrer dans la capitale française déchue lors de la seconde guerre mondiale.
Le livre retrace donc l’exode vers la Loire et la France libre, à partir du 10 juin 1940, d’une famille de bourgeois, un photographe/soldat, un avocat fasciste, deux femmes séparées de force de leurs compagnons, qui se retrouvent sur les routes encombrées de réfugiés à la sortie de Paris. Des Français réfugiés. 80 ans plus tard, cette expression est dérangeante, sonne faux, presque impossible, à l’heure où la plupart des réfugiés contemporains viennent de l’Afrique noire, du Maghreb ou du Moyen-Orient. Et pourtant.
Nous suivons donc des destins qui se croisent, des personnalités qui révèlent leur pire ou leur meilleur, la nécessité de survie, la guerre frappant le bourgeois et le pauvre sans distinction. La débâcle humaine.
Pas de sentimentalisme à outrance, pas de misérabilisme, Romain Slocombe traite le sujet sous un angle nouveau et avec une froideur documentée et factuelle, laissant au lecteur le soin de s’horrifier ou de s’indigner. Il fait ainsi de « La Débâcle » un roman déroutant et bien réussi.
NB : J’avais découvert R. Slocombe pour son roman paru il y a quelques années « Mr Le Commandant », pour lequel je garde un souvenir fort de lecture. Il a fait de la seconde guerre mondiale son sujet de prédilection pour la plupart de ses romans.