Cher Eric,
Quelques mots sur ton dernier roman “La Citadelle”.
Tu bases sa trame sur l’idée judicieuse de convoquer Stendhal pour raconter l’inachevé, l’inaccompli, ces vies qu’on passe parfois sans oser, par orgueil, par crainte du rejet et de l’abandon. Et cette question comme un point d’orgue qui revient et revient toujours “Et si j’avais…?”. Tu fais évoluer le narrateur dans les pas de Julien Sorel, héros malheureux dans “Le Rouge et le Noir”. Une des forces de ton roman tient donc dans ce parallèle qui amène des questions justes et une perspective de lecture originale.
Je n’ai rien à redire sur l’écriture, douce, belle, poétique. On sent l’influence des grands maîtres et malgré tout ta plume reste très personnelle. Je n’ai rien à redire non plus sur la description des paysages, tu as su capter la grâce et la rudesse de la Corse, tu l’as rendue vivante sur tes pages.
Mais une question qui m’accompagne durant ma lecture : Quelle retenue t’a donc empêché d’aller plus loin encore dans la noirceur du narrateur, dans ses angoisses, dans ses ambivalences ? Quelle pudeur t’a retenu de pousser le parallèle stendhalien dans ses confins, de mettre autant de couleurs dans les interactions du narrateur avec lui-même que dans les montagnes et les cieux corses que tu décris ?
Je ne sais pas quelle part de toi tu as mise dans ton récit, et c’est quelque chose qui t’appartient. Bien sûr que j’entends du toi là-dedans, j’ai reconnu ton humour (le seul que je connaisse, c’est-à-dire celui que tu laisses voir à la télé), je reconnais la timidité qu’on transforme, je reconnais le chemin qui est le tien. Je tends à penser que c’est ce qui t’a retenu de lâcher les rênes.
Une dernière chose : Fais confiance au lecteur, à sa capacité d’imaginer, d’interpréter, n’explique pas tout, laisse-le deviner, laisse-le s’approprier ton histoire.
Ce sont là quelques pensées éparses d’une lectrice et il t’appartient d’y faire le tri et de voir ce qui fait sens pour toi. Après tout, les limites de tes libertés d’écrivain ne sont que celles que tu t’imposes.
Selma