Chroniques, Livres, Théâtre

Edmond

Je m’insurge, je m’indigne.

Et si je m’autorise une rime malheureuse, je persiste et je signe : Edmond de Rostand ne peut en aucun cas être ce personnage simplet, faible, tremblotant, à qui l’idée de la génialissime pièce Cyrano lui serait venue comme ça, en ne faisant que retranscrire bêtement les amourettes de son compagnon de beuverie. Parce que si vous vous fiez à la pièce de Michalik et au film qui en découle, c’est ainsi qu’il est présenté.

L’idée a pourtant du mérite, celle de remettre un auteur injustement oublié sur le devant de la scène (si on vous dit Cyrano, vous penserez probablement à un célèbre nez, si on vous dit Rostand, vous serez en droit de vous demander si ce n’est pas le nom d’un village français). Mais quel gâchis. Il est dépeint sur scène et à l’écran comme un jeune homme fade, balbutiant, s’excusant presque d’exister, raillé par ses pairs, effacé, efforcé, aussi profond qu’une flaque d’eau en période de sécheresse, mari insipide, père peinant à imposer son autorité à des enfants qui le fuient.

Non, c’est absurde.

Chroniques, Livres

ça raconte Sarah

Ça raconte Sarah.
Ça raconte une soirée froide de novembre.

Ça raconte une lecture, puis une rencontre à la maison de la poésie.

Ça raconte une auteure pleine de jeunesse, une plume mordante, étrangement mature, de celles qui ont déjà vécu plusieurs vies.

Ça raconte ce lien qu’on appelle parfois amour, celui qui entaille jusque dans la chair, qui brûle jusqu’à la moelle, qui accapare le corps et l’âme, qui entre dans nos vies avec perte et fracas. Celui qui saccade le souffle jusqu’à ce que le souffle faiblisse, celui qui essore la raison, celui que la survie vous sommerait de fuir.

Ça raconte un souffle qui se suspend, des pages qu’on arrête de tourner.

Ça raconte l’essentiel.

L’auteure, pendant l’entretien sur scène, s’étonne modestement du succès de son roman, arguant qu’il n’y a rien dedans (Entendez : il n’y pas d’intrigue). Je trouve au contraire qu’il y a tout.

Chroniques, Livres

Le sphinx rouge – Alexandre Dumas

Dans la série romans historiques français, Alexandre Dumas règne indubitablement en maître.
Étant entré depuis longtemps au panthéon de la culture française, ses romans sont normalement libres de droit et par conséquent gratuits à tous. J’ai donc hésité longuement avant d’acquérir ce roman inédit à 16€, me demandant si ce n’était pas là une stratégie marketing des plus viles pour pousser les lecteurs à mettre inutilement la main à la poche.
Si je n’ai pas le fin mot de l’histoire, je sais que mes 16€ n’ont pas été vains. Alexandre Dumas publiait à l’époque un roman sous forme de feuilleton. Un chapitre apparaissait donc à une certaine fréquence sur tel ou tel journal. Et comme nous l’explique la préface, il s’est agi là de retrouver, d’ordonner, d’expliquer les chapitres, y ajouter notes et contextes pour une meilleure compréhension du lecteur, et même y faire glisser des chapitres inédits qui n’étaient pas destinés à la publication.

XVIIème siècle. Lorsque Paris se bornait à quelques quartiers et que le Louvre était la demeure du Roi de France. Nous sommes un siècle avant la cour de Versailles de Louis XIV, deux siècles avant Robespierre et la révolution française.
Le dix-septième siècle verra éclore Corneille, Racine et Molière, mais nous n’en sommes pas encore là. Il est question ici de faire lumière sur un cardinal qui a dirigé la France d’une main de fer. Oui, un cardinal, pas le roi.

Chroniques, Livres, Théâtre

Plaidoiries – Livre et Pièce de Théâtre

Lorsque les prétoires rencontrent l’histoire, lorsque l’histoire se fait et se défait sur un réquisitoire ou une plaidoirie, par la seule force du verbe.

Je doute que ce livre fût un jour porté à mon attention sans la pièce qu’il a inspirée. Ce n’est qu’en sortant de celle-ci, avec encore dans la tête les mots des anciens portés par le jeu de Richard Berry, que j’ai été amenée à découvrir ce recueil, poignant témoignage de ce que la France a pu compter de procès dans la seconde moitié du XXème siècle. Des hommes et des femmes, certains inconnus, certains ont fléchi le destin de la France. Ils ont tous été appelés à la barre, et jugés. Ces histoires, vous en avez entendu parler, d’une oreille distraite à la radio de votre voiture ou devant votre café du matin. Vous vous êtes exclamés, peut-être avez-vous-même grimacé une moue dégoûtée à l’entente des chefs d’accusions, mais vous n’avez jamais réellement imaginé, rien su des batailles qui ont eu lieu à huis clos, dans la froideur des cours d’assise, à coups de verbe et d’apostrophe, pour rendre l’humanité à ceux qui ont commis (ou pas), l’irréparable. L’indéfendable.

Car il s’agit bien de cela, défendre l’indéfendable, l’insoutenable. Trouver l’audace de défier l’opinion publique déjà acquise à l’accusation. Se faire la voix de présumés coupables de l’atroce, tenter de les rendre humains aux yeux qui les jugent. Défendre aussi ce qui nous semble aujourd’hui acquis, comme le droit pour les femmes de disposer de leurs corps. Fléchir le destin d’un homme et parfois avec lui, celle d’une nation, par la seule force de mots.

C’est donc dans leurs histoires que vous plongerez, par le travail admirable de Matthieu Aaron, journaliste et auteur de ce recueil.

Il n’y a pas de morale, juste des avocats et des accusés, liés par l’indéfectible lien du verbe et de la loi. Et un grand mérite revient à ces porteurs de la loi, de quelque bord qu’ils se réclament, car ils portent entre leurs mains le fardeau lourd et faillible de la justice des hommes

J’ai frissonné il est vrai, j’ai été transportée dans ces cours d’assises de Bordeaux, de Marseille ou de Paris. Il m’a même semblé voir les robes et entendre les voix sourdes des avocats.

Et ces questions qui demeurent : peut-on condamner ou acquitter, peut-on juger de façon neutre en faisant fi des passions qui nous animent ? En faisant fi de qui nous sommes et de nos croyances ? La justice des hommes est-elle réellement aveugle quand il s’agit de décider du destin d’un semblable ?

Parfois, les mots des auteurs parlent d’eux-mêmes. Y rattacher les miens me semble au mieux inutile, au pire injurieux. Alors, et sans mauvais jeu de mots, je vous invite à découvrir et à juger par vous-mêmes, sur scène ou en lecture, ce témoignage vibrant de la justice humaine. 

Chroniques, Livres

Léon L’Africain

Comment aborder cette chronique sans donner une place prépondérante au livre et à l’auteur qui m’ont donné l’envie d’écrire.

La première fois que mon père a mis « Léon l’Africain » entre mes mains, j’étais une pré-adolescente plongée dans les romans à l’eau de rose à la Danielle Steel. Je n’avais pas conscience du trésor qui s’y cachait, bien trop immature pour lui reconnaître sa valeur réelle. Je l’ai relégué au fond de mon armoire. Ce n’est que quelques années plus tard que je l’ai réellement lu, d’une traite. A ce jour, aucun livre n’arrive à détrôner cette merveille. 

A travers l’épopée de Hassan Al Wazzan, dit Léon l’Africain, vous marcherez dans les rues de Grenade, vous retiendrez votre souffle lorsqu’elle expirera le sien, en ce jour de Janvier 1492, mourant musulmane, se réveillant chrétienne lorsque les rois catholiques s’empareront du dernier bastion d’un empire arabe qui aura régné pendant près de 7 siècles sur la péninsule ibérique. Vous humerez les parfums de Fès, vous vous joindrez à des caravanes jusqu’à Tombouctou, siégerez avec les sultans, les esclaves, les califes, voguerez vers Constantinople à l’heure des combats entre les Ottomans et les Mamelouks, et converserez avec le Pape Léon X avant le sac de Rome par les troupes de Charles Quint. Vous apprenez sur l’histoire de homme autant que sur l’Histoire des empires qu’il traverse bien malgré lui, tous deux à la croisée des chemins, tous deux témoins de la chute de l’un et de la naissance de l’autre; destins imbriqués par les doigts magiques de l’auteur. 

Aucun faux pas. C’est beau, c’est tendre, comique par moments, et dur comme peuvent l’être les hommes et les moeurs du 15ème siècle.

Entre (très grandes) parenthèses, ce roman entérinera définitivement mon intérêt pour l’Histoire des hommes. Quelques lectures complémentaires plus tard m’amèneront à penser que la chute et le déclin de l’empire arabo-musulman coïncide étrangement avec l’avènement de la Renaissance, des Lumières et de la période faste de l’Occident. Là où pendant le moyen-âge occidental, les arabes n’ont cessé d’étendre leur empire, d’accumuler richesses et savoir. Et vice-versa. Avicenne, Averroès et Ibn Battouta, pour ne citer qu’eux, ont été, à quelques siècles près, les Colomb, les Michel Ange et les Erasme orientaux. Et il est très étrange d’assister ainsi à des civilisations qui se chassent, se pourchassent, se repoussent, s’ensuivent; qui connaissent la gloire et le déclin, tout comme il est flagrant de constater qu’aucune n’est foncièrement promise à la postérité, et qu’au mieux, elles seront condamnées à laisser des vestiges que des auteurs passionnés pourront romancer. Que tout n’est qu’une question de cycles se répétant à l’infini : une montée, un pic, un déclin. A quelques continents près, à quelques siècles près. Que la civilisation est étrangement à l’image de l’homme qui l’a fait naître et agoniser à coups d’épées, de sabres ou de révolution.

J’ai appris bien plus tard que Maalouf est maronite, donc nullement musulman. Il raconte pourtant les traditions musulmanes avec une précision dont je mesure aujourd’hui l’effort et l’intelligence. Il a emprunté une religion qui n’est pas la sienne et l’a restituée fidèlement, dans toute sa complexité, son usage de l’époque et la contradiction de ses fidèles. Cela n’en a que décuplé l’admiration que j’ai pour cet auteur intemporel, au talent mille fois confirmé, que j’ai eu la chance de rencontrer au détour d’une signature, il y a quelques années de cela, par une froide matinée de mars. Un échange furtif et balbutiant, comme peut l’être une rencontre entre une disciple intimidée et un maître idéalisé. 

Sous sa plume, la langue de Maalouf est un fruit qu’on épluche lentement, qui vous emplit la bouche et l’esprit d’un plaisir sucré. Un plaisir qui dure, qu’on a envie de faire durer, et qui nous laisse un vide silencieux et déférent lorsqu’on a tourné la dernière page.

Chroniques, Livres

Titus n’aimait pas Bérénice – Nathalie Azoulai

Cela faisait longtemps qu’un livre ne m’avait demandé autant d’allers-retours vers un dictionnaire pour chercher la signification de tel ou tel mot (vous avez déjà utilisé « tautologie » au détour d’une phrase vous ?!). Et cela fait du bien, c’est vrai, même s’il m’a donné parfois l’impression d’avoir été écrit pour un public averti, déjà familier du Paris du 17ème, des notions de poésie et de la culture gréco-romaine.  

On a reproché à Racine sa grammaire et sa syntaxe moyennement rigoureuse selon les normes de l’époque. Je ne peux m’empêcher de me demander si l’auteure n’a pas cherché à imiter son illustre prédécesseur (sans grand succès toutefois, n’est pas Racine qui veut) : certaines tournures demandent à être relues (et relues encore !) pour bien les saisir. Le verbe n’est pas à sa place habituelle, le complément d’objet fait des acrobaties et on se retrouve à essayer de reconstituer la phrase originelle pour bien la comprendre. J’avoue avoir baissé les bras certaines fois. On s’attend à un roman entremêlé de références à l’oeuvre de Racine, on se retrouve assez vite avec une biographie du dramaturge entrecoupée de (trop peu) retours vers le roman. Le lien ? La douleur de la narratrice qui cherche refuge dans les oeuvres de Racine, qui se dissout dans celle de Bérénice, quittée, comme elle, deux millénaires plus tôt, en faveur du devoir, d’un amour plus grand encore. On est donc emmené abruptement d’un monde à l’autre, d’un siècle à l’autre, sans transition. On attend la suite de l’histoire de la narratrice, on finit par l’oublier, on se plonge dans celle de Racine, et puis sans prévenir, on se surprend à revenir quelques pages en arrière pour bien s’assurer que non, il n’y avait effectivement pas de téléphone portable en 1667. Pour le moins perturbant. La structure du récit fait cruellement défaut, on a l’impression d’avoir entre les mains un pavé brut, écrit d’une traite, peut-être sur une pulsion. 

Alors, me demanderez-vous après cette introduction peu glorieuse, pourquoi s’acharner ? Pour le récit de la vie de Racine. Et si je la soupçonne d’être fortement romancée, elle mérite toutefois le détour. Vous plongez dans cette France du 17ème siècle, si proche dans le temps et si lointaine de culture et de moeurs, où la galanterie revêt une notion autre que celle qu’on lui prête aujourd’hui, et où l’on pouvait recevoir une rente pour déclamer des vers à la gloire du roi. Orphelin très tôt, élevé par les hommes d’église, il est de cet époque où lire Virgile était un péché entre les murs de la paroisse; et plus d’une fois, lorsqu’il était découvert, les livres des auteurs grecs qu’il lisait en secret finissaient au bûcher. Il fait de Didon le socle, l’héroïne de sa propre vie, elle inspirera celles de ses oeuvres. Il se hisse rapidement par sa plume et sa malice vers les plus hautes sphères sociales. N’ayant pas le bénéfice du « bien né », il développe tout aussi rapidement le besoin viscéral d’écraser ses contemporains (Corneille et Molière en auraient fait les frais), au prix d’intrigues et de trahisons les plus viles.

Quelle est la part de réalité là-dedans ? Quelle est la part de fantasme ? A-t-il été réellement cet homme, mégalomane, pétri de jalousies, cruel parfois, ne supportant pas l’idée de ne pas être l’unique, le seul, le plus grand ? Ses oeuvres et ses actions ont elles été réellement la conséquence de son ballotement entre la piété des hommes de son enfance et la vie de cour ? Et à travers le prix Médicis qu’a reçu ce roman, que récompense-t-on au final ? Une biographie ? La grandeur de la France du 17ème ? Une élite qui a accès au savoir ? Un roman non terminé ? Car, si j’ai applaudi l’idée de départ, ce parallèle entre la narratrice et les oeuvres de Racine, je déplore une fois la lecture achevée qu’il n’ait pas été plus approfondi. Le lien, qui aurait concentré pour moi la grande prouesse de ce récit, est malheureusement trop infime, parfois compliqué à deviner, voire à trouver, et il peut être rompu rapidement, pour peu que le lecteur se lasse des froufrous du 17ème. 

Malgré tout, j’ai aimé car j’ai appris. Eus-je été en sus conquise par la pensée, j’aurais adoré.