Chroniques, Théâtre

Arlequin poli par l’amour – mise en scène Thomas Jolly

La Scala, Paris 10ème, jusqu’au 27 Octobre 2018 (20€ à 34€)

Du Marivaux mis en scène par Thomas Jolly, Je ne pouvais pas rater cette curiosité, cette promesse de poésie, ce cadeau de Noël avant l’heure. Et effectivement, tout vous prend à rebrousse poil, à commencer par la salle, ressemblant davantage à une salle de cinéma ou de concert qu’aux mythiques salles parisiennes aux fauteuils rouges (je vous conseille d’ailleurs de prendre des places plutôt à l’arrière; évitez en tous cas les premiers rangs, afin d’avoir une vue d’ensemble de la scène). 

Pièce du 18ème, on pourrait donc s’attendre à des corsets, de longues robes, des décors blancs et des oiseaux qui piaillent. En réalité, avec Jolly, on ne s’attend à rien, et pourtant on reçoit tout. On est transporté, non pas trois siècles en arrière, mais vers une planète loufoque, un peu étrange, où de jeunes gens flanqués de costumes de cirque, fardés de blanc, de rouge et de noir, entonnent avec la déférence qui lui est due une prose d’un autre temps. Et pendant 1h30, pendant une parenthèse enchantée où les coutumes du dehors ne sont plus, votre souffle est suspendu à celui de la troupe, qui réinvente le temps à coups de danse, de chants, de rires, et de silences.

Le rideau ne se lève pas, les spectateurs découvrent en s’installant, médusés et curieux, les acteurs déjà en position sur la scène, chacun sa lumière, chacun son livre. Le ton est donné. Cher spectateur, tu ne feras qu’un avec la troupe, tu seras immergé dans l’histoire, tu la feras tienne; tes amours seront celles d’Arlequin et de Silvia, ta haine sera celle de la Sorcière, ta tromperie celle de Merlin bafoué. Ton esprit s’élèvera avec celui d’Arlequin, tandis que le sentiment amoureux libèrera ses mots et aiguisera sa langue. Tu feras tienne sa transformation, ses sourcils qui froncent, sa voix qui s’impose, son habit qui s’assombrit. 

En faiseur de magie, Jolly dose les ombres, lève les voiles, celles de la scène et des hommes, le tout porté par des acteurs tous plus talentueux les uns que les autres.

Mention spéciale à Julie Bouriche, lumineuse dans le rôle de la fée maléfique en désespoir d’être aimée, machiavélique dans ses desseins; mais, et c’est là toute la beauté du texte, de la mise en scène et du jeu, émouvante dans son malheur, et qui arrive à nous soutirer des soupirs de compassion.

Comme un revers à mon enfance bercée par les voix mielleuses des princesses Disney (gageons que les années qui passent y sont pour quelque chose aussi…), il n’y a rien qui m’insupporte davantage dans un oeuvre que le manichéisme dégoulinant, insulte à l’intelligence du spectateur. Cette idée saugrenue qu’il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre, sans nuance, sans subtilité.  En tout homme, fût-il arlequin, bataillent des forces contraires, en toute femme, fût-elle sorcière, sommeillent eaux calmes et marées houleuses. Et c’est là toute notre humanité. Et c’est là toute la justesse de cette pièce, magnifiée, il est vrai, par un arlequin poli par l’amour, et un metteur en scène aux doigts de fée.

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